Introduction (1/3)
SOMMAIRE
La collection du 1 NUM, des cédéroms de complément d'origines diverses conservés aux Archives départementales de Tarn-et-Garonne, contient différents documents relatifs à la Grande Guerre dont :
1 NUM 72-74 – Auditions du commissaire de police de Castelsarrasin (30 décembre 1915-10 mars 1917) (Archives communales de Castelsarrasin).
1 NUM 135 – Journal de la garde civile de Moissac, 1er août-3 novembre 1914 (archives communales de Moissac). Évocation de poilus nés à Moissac, notamment Jean TESTAS.
1 NUM 138 – Fonds concernant Pierre SUBERVIOLLE, originaire de Montauban, soldat dans l'armée d'Orient (Collection privée). Ce fonds a fait l'objet d'une publication : Catherine Labaume-Howard, Lettres de la "der des der" – Les lettres à Mérotte : correspondance de Pierre Suberviolle (1914-1918), préface de Jean-Pierre Guéno, La Louve éditions, Cahors, 2011, 271 p.
Le fonds des registres matricules de la série R, mis en ligne sur le site des Archives départementales de Tarn-et-Garonne, a permis de mieux comprendre les parcours militaires des poilus.
Les dossiers sur des poilus issus de la Grande Collecte 1914-1918 (relevant de collections privées) constituent la source la plus originale. Les poilus nés dans le Tarn-et-Garonne mais aussi ceux qui habitaient le département en 1914 ou qui ont été recrutés au bureau de Montauban à cette date figurent parmi les témoins choisis :
Jean Noël BENTAJOU, né en 1887 à Saint-Projet, mort en 1916 ;
Gabriel BOUFFIES, né en 1892 à Lamothe-Capdeville ;
Bernard Jean Henri BOYER, né en 1886 à Saint-Loup, mort en 1915 ;
Paulin Faustin BRÉGAL, né en 1896 à Mirepoix dans le canton de Villemur en Haute-Garonne, instituteur et élève de l'École normale, habitant à Montauban en 1914 ;
René Gabriel CAUBET, né en 1893 à Lamagistère, mort en 1917 ;
Louis CHANTOT, né en 1887 à Lamagistère ;
Émile Louis Auguste GASC, né en 1896 à Montauban ;
Jean Clément GAYNE, né en 1884 à Escazeaux ;
Jean JOUGLA, né en 1877 à Saint-Paul-d'Espis ;
Henri Pierre MOLINIER, né en 1895 à La Nouvelle dans l'Aude, résidant à Étampes en Seine-et-Oise en 1914, recruté à Montauban ;
Éloi NICHIL, né en 1895 à Bruniquel, mort en 1916 ;
Marcel NOAILLAC, né en 1895 à Monteils ;
Germain PENCHENAT, né en 1897 à Labastide-Saint-Pierre ;
Édouard Laurent ROBERT, né en 1887 à Montauban, mort en 1914 ;
Clément ROUGES, né en 1873 à Lafrançaise, ainsi que sa femme Marie et sa fille Marie-Louise ;
Henri SOUPA, né en 1892 à Septfonds.
Page de titre d'un registre matricule du bureau de Montauban pour l'année 1916. (Archives départementales de Tarn-et-Garonne, cote 89 R 206)
Visages de poilus de la Grande Collecte, de haut en bas et de gauche à droite : JOUGLA, ROBERT, GASC, BRÉGAL, GAYNE, CAUBET. (Collections privées)
Gallica (pour de brefs historiques de plusieurs régiments dont le 17e escadron du train des équipages et le 10e régiment de Dragons) : http://gallica.bnf.fr/
Grand Mémorial (pour une recherche nominative des poilus) : http://www.culture.fr/Genealogie/Grand-Memorial
Mémoire des hommes : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/article.php?larub=3&titre=premiere-guerre-mondiale (usage de la base de données des morts pour la France et des Journaux de Marche et des Opérations des unités engagées)
Registres matricules des Archives départementales de Tarn-et-Garonne : http://www.archives82.fr/rechercher-et-consulter/archives-en-ligne/registres-matricules.html
Bibliographie
Généralités
Stéphane AUDOIN-ROUZEAU, Jean-Jacques BECKER (dir.), Encyclopédie de la Grande Guerre, 1914-1918, Bayard, Paris, 2004, 1343 p. (BIB 3449)
Jean-Jacques BECKER, L'Europe dans la Grande Guerre, Éditions Belin, Paris, 1996, 319 p.
Jay WINTER (dir.), Annette BECKER (coord.), La première guerre mondiale. Volume 1, Combats. Volume 2, États. Fayard, Paris, 2013-2014, 846 p. et 887 p. (Cambridge History) (BIB 4699 et BIB 4700)
Ouvrages spécifiques
Rémy CAZALS (dir.), 500 témoins de la Grande Guerre, Éditions Midi-Pyrénéennes, EDHISTO, Portet-sur-Garonne, 2013, 495 p. (Pour un article sur Pierre Suberviolle) (BIB 4595)
Catherine LABAUME-HOWARD, Lettres de la "der des der". Les lettres à Mérotte : correspondance de Pierre Suberviolle (1914-1918). Préface de Jean-Pierre GUÉNO. La Louve éditions, Cahors, 2011, 271 p. (BIB 4125)
François OLIER, Jean-Luc QUÉNEC'HDU, Hôpitaux militaires dans la guerre 1914-1918, tome III, France Sud-Ouest. Répertoire général, marques postales sanitaires, indice de rareté HOPMIL, Ysec éditions, Louviers, 2011, 333 p. (Pour les hôpitaux militaires de Tarn-et-Garonne) (BIB 4575)
Bernard OUARDES, Castelsarrasin du front à l'arrière : 1914-1918, Association de Sauvegarde du Patrimoine Castelsarrasinois, 2014, 59 p. (BR 3798)
Marcel SÉMÉZIES, Mémoires de ma Vie et de mon Temps, 1858-1928. Extraits d'une chronique montalbanaise. Académie de Montauban, Montauban, 2004, 495 p. (BIB 4598)
1914-1918 : Les étrangers en Tarn-et-Garonne. Exposition ayant eu lieu à l'espace des Augustins de Montauban du 12 novembre 2014 au 11 janvier 2015, Archives départementales de Tarn-et-Garonne, Montauban, 2014. (DOC 1555)
À travers les lignes 14-18. La Grande Collecte dans le Tarn. Catalogue d'exposition. Archives départementales du Tarn, Albi, 2014.
La Grande Guerre à la Une dans le Gers, Exposition présentée du 14 novembre 2014 au 31 mars 2015, Archives départementales du Gers, Auch, 2014, 247 p. (Donne la liste des régiments en Tarn-et-Garonne)
Le parler des Poilus. Vocabulaire des tranchées, d'après Lazare SAINÉAN, Christine Bonneton Éditeur, Clermont-Ferrand, 2014, 95 p.
Bibliographie
La mobilisation résulte de causes à la fois proches et lointaines. Le journal de la garde civile de Moissac retrace en quelques lignes ce moment.
Des alliances ont été conclues depuis la fin du XIXe siècle entre l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l'Italie qui forment "la Triplice" face à la France, à la Russie et au Royaume-Uni qui forment "l'Entente". Après l'attentat de Sarajevo du 28 juin 1914, les événements s'enchaînent pour conduire à une Grande Guerre : Le 28 juillet, l'Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie, considérée comme responsable du crime. La Serbie est soutenue par la Russie qui mobilise le 30 juillet. Dans la nuit du 30 au 31 juillet, c'est au tour de l'Autriche-Hongrie de mobiliser. Le 1er août, la mobilisation générale est décrétée en Allemagne et en France, vers 16 h. L'Allemagne déclare la guerre à la Russie le même jour vers 19 h. Le 2 août, l'Allemagne envahit la Belgique et le 3 août déclare la guerre à la France.
Dans ce contexte, un extrait du journal de la garde civile de Moissac permet d'évoquer le comportement de la population au moment de la mobilisation en Tarn-et-Garonne :
"Dimanche 2 Août 1914 : 14h. On dit que l'Allemagne ayant déclaré la guerre à la Russie et qu'elle mobilise sur nos frontières, la mobilisation française va avoir lieu. 16h. On sonne le toxin [tocsin]; on affiche le décret de mobilisation. Toute la population est debout frémissante d'impatience.
Lundi 3 Août : 6h. La gare a suspendu tout trafic civil. Elle est encombrée d'hommes allant rejoindre leurs corps. La Garde civique est convoquée pour demain mardi."
Le 4 août, le Royaume-Uni déclare la guerre à l'Allemagne. Enfin, le 11 août, la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l'Autriche-Hongrie.
La préparation passe par l'entraînement militaire et la vaccination des soldats, en prévision de mauvaises conditions sanitaires sur le front. Jean TESTAS (dont une lettre est recopiée par l'auteur du journal de la garde civile de Moissac) en témoigne.
"Aujourd'hui, c'est le garde Testas qui, rentrant de sa tournée quotidienne sur la voie ferrée de Moissac à Castelsarrasin vient m'entretenir de ses deux pupiles : L'un et l'autre fils de son frère décédé et orphelins de père et mère.
Le jeune, Testas Jean, né le 24 avril 1914 [1894], à Moissac, surveillant d'internat au Lycée Ingres, à Montauban, s'est engagé pour 4 ans dès la déclaration de guerre. Incorporé au 11e de Ligne, à Montauban, il est encore dans cette ville; à l'heure actuelle il est élève caporal. Il va partir d'un jour à l'autre pour le front. Son moral est bon et, ce qui le prouve bien, voici quelques extraits de lettres qu'il écrit à son oncle et tuteur, notre ami Testas :
Montauban, 19 Août 14. Cher Tonton, Libre seulement à 5 h ce soir. Aujourd'hui, journée de travail, et pas petit! Je t'assure qu'on nous a fait pivoter, ce soir. Tout équipés, avec flingot, sac, ceinturon, cartouchières et tout le fourbi. L'ordinaire de la caserne n'est pas si mauvais qu'on le prétend. Le malheur, c'est que nous sommes 140 dans une chambrée de 60 ou 50... C'est irrespirable et l'on couche sur la paille, bien entendu, ou sur des lits quand on est débrouillard. Les territoriaux sont très gentils, etc...
15 Septembre. On nous a vaccinés hier contre la typhoïde. Rien de plus mauvais que ce vaccin. Tu as du voir, du reste, sur "Le Matin", il y a quelques jours, les discussions des médecins à ce sujet. On vaccine dans le dos; j'ai été malade toute la nuit, et tout aujourd'hui j'ai un côté tout entier paralysé, sans compter la souffrance. Enfin, l'effet ne dure pas et cela n'empêche pas que, très probablement, dans deux ou trois jours, il faudra mettre sac au dos très sérieusement..."
Les régiments présents à Montauban relèvent de la 17 e région militaire. En ce qui concerne l'infanterie du 17e corps d'armée, le 11e de ligne et le 20e de ligne font partie de la 66e brigade d'infanterie, relevant de la 33e division d'infanterie. Le 132e régiment d'infanterie territoriale se situe aussi à Montauban. La cavalerie est à l'honneur avec l'escadron du 10e Dragons. Le 17e escadron du train des équipages militaires est également rattaché à Montauban.
Avant le départ au front, des photographies de groupe sont prises au sein de chaque régiment. Jean JOUGLA a fait partie du 132e régiment d'infanterie territoriale et Jean-Clément GAYNE du 17e escadron du train.
Sur la photographie d'un groupe de 24 soldats du 132e régiment d'infanterie territoriale, Jean JOUGLA est identifiable par une croix. La photographie porte les mentions "Campagne 1914. Souvenir d'Aix-en-Provence." et "Phot. R. Jouven". Le premier bataillon de ce régiment a en effet été cantonné à Aix-en-Provence le 12 août 1914, avant de partir au front, d'après le journal de marche et des opérations du 132e RIT. Le numéro du régiment est brodé sur tous les cols des uniformes et sur la casquette des soldats.
Sur la photographie du groupe de 18 hommes du 17e escadron du train figure Jean-Clément GAYNE, en bas, il s'agit du deuxième homme en partant de la gauche.
La guerre qui vient de se déclencher devient rapidement mondiale avec l'intervention de troupes coloniales qui traversent la France avant d'arriver au front. Le 15 août 1914, des troupes d'Afrique passent en gare de Moissac et le journal de la garde civile de Moissac évoque aussi l'enthousiasme de la foule à les accueillir.
"15 Août.
17h. Les nouvelles saillantes se font rares. Aujourd'hui c'est jour férié à Moissac. Les gens sont endimanchés et les claires toilettes dominent; les visages sont plutôt gais. À la gare, on a signalé, pour aujourd'hui le passage de trois trains de troupes d'Afrique. À midi 40, à 16 heures la foule envahit les quais de la gare. Une longue ovation salue l'arrivée des convois. Pendant la station des trains, on admire nos beaux coloniaux, noirs d'ébène, marrons clair et foncé qui, dans un large sourire découvrent une double rangée de dents blanches. Des miliers [milliers] de mains se tendent vers eux et le spectacle de ces braves congolais, soudanais, sénégalais et marocains serrant dans leurs mains noires toutes ces mains fines et blanches de nos jeunes françaises est un puissant réconfort. Jamais, plus qu'à ce moment, la parole du Nazaréen nous paraît plus vrai "Tous les hommes sont frères!"
Des femmes, des hommes et des jeunes filles distribuent des fleurs, des fruits, du vin et du tabac à ces frères de la France noire.
Et c'est dans de nouvelles acclamations que les trains quittent la gare."
L'expression "nos beaux coloniaux" semble signifier qu'il s'agissait de troupes issues uniquement des colonies françaises, notamment des tirailleurs sénégalais. Le Soudan français correspondait à l'actuel Mali, et une grande partie du Maroc était protectorat français depuis 1912.
La référence à la parole du Christ, Jésus de Nazareth, d'où le surnom de Nazaréen, témoigne d'une véritable fraternisation entre population de métropole et troupes africaines au moment où les trains s'arrêtent en gare de Moissac. L'humeur joyeuse de tous souligne l'enthousiasme de la population à entrer en guerre.
Les champs de bataille sont nombreux de la Lorraine jusqu'au territoire belge. Au cours de la bataille des frontières, les poilus découvrent la violence de la guerre. La dureté des combats va de pair avec la mort de nombreux soldats. Les premiers sont inhumés dans des fosses collectives, mais face au mécontentement des troupes, les tombes individuelles sont par la suite privilégiées.
Sur le document ci-contre, probablement réalisé par le poilu Jean JOUGLA, figure un plan du champ de bataille de Rozelieures, village situé en Lorraine, en Meurthe-et-Moselle, au 25 août 1914. Parmi les indications, le n°1 est une tombe où reposent 50 victimes ; les n°13, 16, 17, 18, 19, 21, 22, 24, 25, 26 et 28 sont des tombes ou fosses communes pour les soldats français. Les n°20 et 27 sont des fosses communes pour les soldats allemands.
Les officiers ou sous-officiers ont eu droit à des tombes individuelles, par exemple le n°36, tombe du sous-lieutenant Gaubert du 15e de ligne.
Gabriel BOUFFIES donne des précisions sur l'arsenal déployé sur terre et dans les airs pour mener la guerre dans une lettre du 1er octobre 1915, écrite depuis la Champagne. Les tranchées sont alors bien établies.
"[Depuis les premiers jours de cette effroyable guerre, notre armement s'est bien perfectionné, [...] nous voyons [...] ces grands] autos pour transporter des troupes et des munitions, ces autos parisiens transportant notre viande fraiche, toutes ces cuisines roulantes, tout ces autos projecteurs qui éclairent le terrain la nuit, ces fusées, ces pétards, ces bombes et des grenades différents modèles, etc.
Tout ces téléphone et ces postes de télégraphie sans fil et ses balonnettes où [ou] saucisses tenue par les autos qui se déplace à volonté, toutes ces sections de mitrailleuses, et tant d'escadrilles et aéroplanes, nouveau modèle à 2 moteurs, 2 hélices, qui vont bombarder au loin, ces avions de poursuites, ces avions de reconnaissances, etc.
Tout ces grands rouleaux de fils de fer barbelés et des piquets en fer fait exprès pour les placés, tout ces sacs à terre, tout ces grillages qu'on place devant les tranchées contre les éclats de grenade, tout ça on ne voyait pas au début et tant d'autres, que je n'ai pas vu, que je ne peux vous dire aujourd'hui, on peut être fier comme tout est bien organisé et comme tout marche bien chacun à son poste.
Vous devez voir sur les journeaux [journaux] ce qui se passe par ici, en ce moment ils sont intéressant plus que jamais, il y a des endroits que ça a bien avancé, d'autres pas beaucoup. On a déjà fait 26000 prisonnier et 100 pièces [de canon.]"
"Entrée d'abri-sape
Henri Molinier
Champagne
30 avril 1916"
À cette date, d'après le registre matricule de 1915, Henri Pierre Eugène MOLINIER est soldat au 9e régiment d'infanterie de ligne, un régiment rattaché à la ville d'Agen, après avoir servi dans le 7e régiment d'infanterie, régiment rattaché à la ville de Cahors, et avoir été recruté au bureau de Montauban en décembre 1914. Il a survécu à la Grande Guerre.
Situés à proximité des tranchées de première ligne, les abris couverts dit "abris légers" ou "sapes" devaient permettre de résister aux bombardements de petits calibres. Ils étaient creusés sous plusieurs mètres par rapport au niveau du sol, ici dans les plateaux crayeux de la Champagne.
Sur ce dessin, l'abri-sape est solidement étayé de poutres de bois. Des sacs de sable semblent empilés au fond à gauche pour renforcer la paroi. Trois ou quatre poilus se distinguent sur le dessin. Celui qui est assis au premier plan fume tranquillement une pipe et lit une lettre.
Les combats font rage autour de Verdun entre février et décembre 1916, une première offensive se déroule entre février et juillet 1916. Le poilu Éloi Guillaume Maurice NICHIL originaire de Bruniquel participe à cette bataille.
Il est enregistré sous le n°403 dans le registre matricule du bureau de Montauban pour la classe 1915 : il a d'abord été incorporé au 7e régiment d'infanterie à partir de décembre 1914 puis est passé soldat à la 1ère compagnie du 11e régiment d'infanterie de ligne en octobre 1915.
L'issue du combat lui est fatale. Il décède de ses blessures à l'hôpital n°12 de Vadelaincourt, proche de Verdun, le 2 août 1916, à l'âge de 21 ans. Il est enterré le 3 août avec un grand nombre d'autres soldats, morts pour la France, dans le cimetière militaire de Vadelaincourt. Leurs tombes apparaissent sur la photographie ci-contre.
Les croix de bois aux extrémités sculptées sont ornées de cocardes tricolores et une inscription indique le nom du poilu qui est ici mal orthographié ainsi que la date de son décès. Quelques fleurs ainsi que la mention "champ d'honneur" décorent aussi la sépulture d'Éloi Nichil.
René Gabriel CAUBET, né le 13 mars 1893 à Lamagistère, soldat infirmier de la classe 1913, sergent depuis octobre 1915, fait partie des soldats cantonnés dans la Somme et écrit ces quelques lignes un mois et demi avant le début de la bataille du même nom.
"Le 16 mai 1916.
Chère Rosette,
Je t'écris ces quelques mots sur de l'écorce de bouleau. C'est bizarre et puis c'est un souvenir du bois de Hem.
Je suis à l'abri parce qu'il pleut. Que fais-tu petite Rosette à Tlemcen?
Je vois avec plaisir que tu fais de nombreuses promenades en auto. Tu as plus de veine que moi.
Bien gros baisers à papa et maman.
[Pour toi, reçois, ma chère petite Rosette, mille gros baisers de votre fils et frère qui vous aime bien et qui vous embrasse bien fort.
René Caubet]"
La famille du poilu se trouve alors à Tlemcen en Algérie. Il s'adresse ici à sa soeur Rose, née le 9 mai 1899 à Lamagistère également, elle vient alors d'avoir 17 ans. René Gabriel CAUBET a quant à lui 23 ans en mai 1916. Le bois de Hem se situe non loin de Péronne sur la rive droite de la rivière Somme.
Pierre SUBERVIOLLE est un témoin privilégié du front d'Orient et son parcours l'amène non loin de la ville de Salonique, aujourd'hui Thessalonique au Nord de la Grèce actuelle. Le registre matricule du bureau de Montauban où il a été enregistré en 1916 sous le nom de "Suberviole" précise qu'il se trouve sur le front d'Orient entre le 20 mars 1916 et le 24 octobre 1917.
Dans son abondante correspondance, il revient sur les troupes alliées qui sont alors rassemblées en Grèce pour combattre :
"1er août 1916
Ma petite mémère.
Enfin un moment pour venir faire un brin de causette avec toi. Vraiment on ne nous laisse pas une minute. A peine arrivés, pas même le temps de dire ouf que nous sommes embarqués à un autre service.
Je crois que nous marchons à grand pas tout de même, et d'ici quelque temps je suppose que l'armée d'Orient va faire parler d'elle. Les Serbes tout à fait prêts sont maintenant sur le front, quant aux Russes qui débarquent depuis hier, je crois que l'on ne va pas les faire languir longtemps. En voit-on un mélange de drapeaux et d'uniformes. Anglais, Français, Serbes, Russes, Grecs. Indous [Hindous], Annamites, c'est un mélange pire que la tour de Babel [...]".
L'armée d'Orient commandée par le général Sarrail se composait d'environ 400 000 hommes au total, dont un contingent italien également.
Lettre de Pierre Suberviolle, première partie. (Collection privée) (Texte édité : Catherine Labaume-Howard, Lettres de la "der des der", La Louve éditions, 2011, p. 124)
Lettre de Pierre Suberviolle, deuxième partie. (Collection privée) (Texte édité : Catherine Labaume-Howard, Lettres de la "der des der", La Louve éditions, 2011, p. 124)
D'après les informations données par le registre matricule, Jean-Noël BENTAJOU est né le 25 décembre 1887 à Saint-Projet, c'est le fils de Jean BENTAJOU, hongreur (qui châtre des chevaux), du mas de Tambay, et de Marie-Rose Franciel (décédée en 1902 à l'âge de 50 ans). Il est cultivateur au moment où il débute son service militaire dans la classe 1907 au 9e régiment d'infanterie de ligne (situé à Agen) et le termine comme soldat de première classe avec un certificat de bonne conduite en 1910.
La mobilisation du 1er août 1914 le rappelle à son régiment qu'il rejoint le 4 août. Il devient caporal le 13 mai 1915 à la 19e compagnie du 281e régiment d'infanterie. Il s'agit d'un régiment d'infanterie situé à Montpellier. Jean-Noël BENTAJOU est tué le 1er mars 1916 devant Boëtinghe en Belgique, il est enterré au cimetière militaire d'Elverdinghe, un village belge près d'Ypres.
Les circonstances de son décès lui valent la croix de guerre (avec une étoile de bronze). Cette décoration a souvent été attribuée après décès aux soldats morts pour la France. Créée par la loi du 8 avril 1915, elle matérialise les diverses citations reçues par les soldats. Elle est ornée de palmes ou d'étoiles, selon le "degré" de la citation.
Jean-Noël BENTAJOU a été cité à l'ordre du régiment le 1er mars 1916 comme "bon caporal, tué dans une tranchée de première ligne bombardée par les minenwerfer". Les "Minenwerfer" étaient des canons à tir courbe de 76 mm de l'armée allemande, correspondant aux mortiers de l'armée française. Cette citation lui vaut aussi de recevoir post mortem la médaille militaire en 1919, les deux décorations vont souvent de pair.
Né à Lamagistère le 13 mars 1893, fils d'Etienne CAUBET, fabricant de futailles, et de Germaine Rosa LACROIX, René Gabriel CAUBET effectue son service militaire à partir de 1913, date à laquelle il exerce la profession de sténo-dactylographe. Il est entré dans la 17e section d'infirmiers en novembre 1913. Il est nommé caporal le 28 octobre 1914 puis sergent le 16 mars 1915. Il a une soeur, Rose, à laquelle il écrit depuis la Somme en 1916 (voir le document en page 12). Sa famille est passée en Algérie et est établie à Tlemcen en 1916 puis se retrouve à Oran en 1918 où son père était chimiste. Au cours de ses permissions, René Gabriel CAUBET est pris deux fois successivement en photographie avec ses décorations.
Sur la première photographie (à gauche), René Gabriel CAUBET porte sur le bras gauche trois chevrons pour autant d'années de présence aux armées, chevrons instaurés en avril 1916. Il porte aussi un chevron sur le bras droit correspondant à une blessure de guerre: il a été blessé à une main par un éclat d'obus qui lui a arraché trois doigts et la moitié de la paume. Il a reçu la médaille militaire le 24 juillet 1916 d'après son matricule ainsi que la croix de guerre avec deux citations qui lui valent une palme et une étoile. Le col de son uniforme marque son appartenance au corps des infirmiers avec un caducée encadré de palmes. La photographie pourrait donc dater de la deuxième partie de l'année 1916.
René Gabriel CAUBET est passé au 83e régiment d'infanterie après le 15 août 1917, son deuxième portrait (à droite) portant le numéro 83 à son uniforme, cela permet de dater la photographie entre août et décembre 1917. Il porte deux palmes et trois étoiles désormais sur sa croix de guerre (il a obtenu cinq citations) ainsi que la médaille militaire. La barrette au-dessus des médailles avec une étoile pourrait être l'insigne des blessés militaires. Sur son bras gauche, il porte cinq chevrons pour l'ensemble de ses années de présence aux armées. Sur son bras droit, il porte toujours un chevron pour sa blessure de guerre. La photographie a été prise à Tlemcen.
Il est tué le 10 décembre 1917 au bois Le Chaume, sur la commune d'Ornes dans la Meuse, à proximité de Verdun. Il est enterré au cimetière militaire de Marceau à Verdun puis son corps est transféré au cimetière de Douaumont.
Édouard Laurent ROBERT est né à Montauban le 8 novembre 1887, il relève de la classe 1907 et a été recruté au bureau de Montauban sous le numéro de matricule 958. Il débute son parcours dans l'armée comme engagé volontaire le 25 septembre 1908 alors qu'il est encore "élève au Lycée". Il entre alors au 11e régiment d'infanterie de ligne à Montauban comme soldat de 2e classe. Il obtient le grade de caporal le 25 janvier 1909 puis celui de sergent le 4 juillet 1909.
Il réussit le concours d'entrée à Saint-Cyr, encore appelée "l'École Spéciale Militaire" et fait partie de la promotion de Fès à partir de septembre 1909, la même promotion que le futur général Charles de Gaulle et le futur maréchal Alphonse Juin. Il y entre au 181e rang sur 221 admis, d'après les résultats publiés par le journal Le Gaulois du dimanche 19 septembre 1909 (n°11663), consultable sur Gallica. Dans la mesure où il a déjà un poste dans l'armée, il ne reçoit pas d'affectation particulière. Il est ici photographié en uniforme de Saint-Cyrien, avec son shako décoré de plumes blanches et rouges, le casoar.
Il passe ensuite au 42e régiment d'infanterie, en étant promu sous-lieutenant le 1er octobre 1911. Il devient lieutenant le 1er octobre 1912. La Grande Guerre met un terme à sa brillante carrière, tout en lui permettant de s'illustrer. Il fait preuve d'actes de bravoure, une première fois au cours de la bataille de Mulhouse en août 1914. Il est cité à l'ordre de l'armée : "officier d'une bravoure incomparable, d'un sang-froid et d'un entrain héroïques, en même temps d'une modestie rare".
Il obtient ainsi la croix de guerre avec une palme et une nomination au grade de capitaine le 1er novembre 1914. Il a également été fait chevalier de la Légion d'Honneur au même moment en novembre 1914. Cependant, il est tué le 12 novembre 1914 à Nouvron-Vingré à la côte 150 dans le Soissonnais (en Picardie), au moment où il mène l'assaut d'une tranchée ennemie. Les circonstances de son décès lui valent une deuxième citation, d'où une deuxième palme sur sa croix de guerre.
Émile Louis Auguste GASC est né le 11 avril 1896 à Montauban. Il fait partie de la classe 1915 mais il est enregistré en 1916 sous le numéro de matricule 1263. Il est porté sur son état de services comme "engagé volontaire pour la durée de la guerre à la mairie de Montauban le 31 décembre 1914". Il entre au régiment du 10e Dragons le 1er janvier 1915. Une première photographie le montre en uniforme, se tenant fièrement à cheval, sabre au clair, avant son départ. Il rejoint le front le 14 juillet 1915. Mais combattre à cheval n'est déjà plus d'actualité dans le courant de l'année 1915 où l'usage massif de l'artillerie et le système des tranchées sont déjà bien établis.
Il passe au "groupe cycliste du 2e corps de cavalerie le 22 novembre 1915". Il devient caporal en mars 1917. Cependant, il est blessé par un éclat d'obus le 14 juillet 1917 à Barisis-aux-Bois en Picardie (Aisne) dans des circonstances qui lui valent la croix de guerre avec palme et la médaille militaire (accordée le 29 septembre 1917). Une deuxième photographie le montre avec ses deux médailles à une date indéterminée.
Il est cité à l'ordre de l'armée comme "gradé d'élite, ayant une haute conception de son devoir. [Il] a fait preuve dans la journée du 14 juillet 1917 d'un rare courage et d'un admirable dévouement. Sous un feu d'une extrême violence, [il] s'est porté à trois reprises au secours des blessés, ramenant successivement son chef de section et deux de ses camarades. [Il] a été grièvement blessé à son tour." Il s'agit d'une "fracture de l'épine de l'omoplate". Il est évacué du front le 7 janvier 1918, pour être classé "inapte" provisoirement par la commission de réforme de Montauban le 30 avril 1918. Il est ensuite affecté au 11e régiment d'infanterie le 10 juin 1918. Il reçoit une pension temporaire d'invalidité à la fin de la guerre. Il a survécu au conflit.
Paulin Faustin BRÉGAL est né le 15 février 1896 à Mirepoix-sur-Tarn en Haute-Garonne, son père Jean BREGAL est alors "garde républicain demeurant à Paris". En 1916, Jean BRÉGAL est gendarme à Montauban et réside avec sa femme Marie BRÉGAIL à la caserne de gendarmerie. Paulin BRÉGAL est alors élève-instituteur à l'école normale de Montauban et entre dans l'armée dans la classe 1916, sous le numéro de matricule 998. Il est incorporé le 13 avril 1915 au 80e régiment d'infanterie, dont la caserne se situait à Narbonne. Il passe au 53e régiment d'infanterie le 9 décembre 1915 puis au 67e régiment d'infanterie le 16 avril 1916. Le 22 mars 1918, il entre au 8e régiment du génie. Simple soldat, il obtient à la fin de la guerre un certificat de bonne conduite. Il a été photographié entre décembre 1915 et avril 1916 en uniforme du 53e régiment d'infanterie.
Sa conduite exemplaire lui vaut la croix de guerre avec deux étoiles, l'une de bronze, l'autre d'argent (d'après son matricule) ou bien deux de bronze (d'après son livret militaire) pour deux citations reçues, l'une en octobre 1916, l'autre en août 1918 :
"1/ cité à l'ordre du régiment n°478 au 22 octobre 1916 : soldat brave et courageux, a réparé plusieurs fois les lignes coupées par les obus sous un bombardement intense ;
2/ cité à l'ordre du Quartier Général de la 12e Division d'Infanterie (n° 12 du 18 août 1918)". D'après son matricule, "à peine remis d'un malaise provoqué par les gaz, [il] a fait preuve d'un zèle et d'un dévouement digne d'éloges en se présentant comme volontaire pour assurer le service du poste du centre de renseignements."
L'usage des gaz, avéré dès avril 1915 dans la région d'Ypres, notamment du "gaz moutarde" (sulfure d'éthyle de chlore) ou "ypérite" (mot forgé d'après le nom d'Ypres) a été particulièrement redouté. Les soldats disposaient de masques à "groin de cochon" pour se protéger mais beaucoup furent gazés.
Paulin BRÉGAL a survécu à la Grande Guerre.
Le courrier revêt une importance particulière pour le moral du soldat, il est à la fois officiel, avec la diffusion de la propagande à travers le "Bulletin des Armées" dans les troupes et autres journaux de tranchées, et personnel, concernant la correspondance privée avec les familles.
La remise du courrier est un moment important. La "distribution du Bulletin des Armées" a été photographiée par René Gabriel CAUBET alors qu'il se trouve près d'Arras (dans le Nord) en 1915.
De nombreux documents présentés sont issus de la correspondance des poilus du Tarn-et-Garonne, que ce soit Gabriel BOUFFIES, René Gabriel CAUBET ou Pierre SUBERVIOLLE déjà évoqués, mais aussi Jean-Noël BENTAJOU ou encore Bernard Jean Henri BOYER. L'abondante correspondance (de nombreuses cartes postales) de Clément ROUGES doit aussi être citée.
Face à la censure, le contenu des lettres se veut anodin. Un poilu ne peut pas dire à sa famille à quel endroit précis il se trouve, que ce soit une lettre ou un dessin. Sur celui intitulé "la lettre", montrant un soldat en train de lire ou d'écrire une lettre, Henri MOLINIER utilise l'abréviation "P.s.M." pour désigner le lieu où le dessin a été réalisé. Ces trois initiales correspondent vraisemblablement à Pont-sur-Meuse où une partie du 9e régiment d'infanterie (auquel appartient ce poilu) est cantonnée au 1er décembre 1916.
Malgré la censure, quelques lettres faisant preuve d'esprit critique face à la guerre ont réussi à parvenir à leurs destinataires. Bernard Jean Henri BOYER en témoigne à travers ces quelques lignes dans lesquelles il souligne aussi la dimension apocalyptique de la guerre qui marque la fin d'un monde :
"Ce 27 mai 1915
Chers Parents
Je comprends fort bien qu'il vous soit malaisé de m'écrire souvent. Actuellement, de part et d'autre, des occupations d'un caractère plus impérieux absorbent le temps. Vous autres là-bas, c'est les travaux et quels travaux! Il ne faut pas être bien avisé pour comprendre très bien ce qui se passe partout. Nous ici c'est notre existence qui demande une vigilance de tous les instants. Les épidémies sont venues s'ajouter au fléau déjà si cruel d'une guerre sans merci ni relache.
Est-ce une guerre? Est-ce la fin du monde qui arrive après tant d'années d'efforts physiques et intellectuels pour aplanir les difficultés de l'existence, je ne sais, mais l'Europe entière s'achemine vers un gouffre. La lutte semble devoir absorber les combattants. Là-bas, vous avez par ceux qui reviennent une couleur des choses d'ici. Les journaux dorent plus ou moins efficacement leurs articles et les orientent systématiquement vers une fin probable qui me semble appartenir plutôt à Dieu qu'aux hommes.
Car croyez-le bien, chers Parents, il faut avoir [vu] ces masses s'entrechoquer avec cette violence de tous les instants : il faut avoir vu les raffinements barbares que la science mobilisée comme tout le reste apporte aux combattants. Ce ne sont plus les temps héroïques et l'histoire n'enregistrera point des faits d'armes comme les exploits d'antan.
Peu importe d'ailleurs. Je laisse volontiers [la gloire à ceux à qui elle paraît rapporter : on ne jouit pas longtemps du fruit de ses exploits. Je me contente de ma vie sauve si ma destinée est de survivre.] [...] [En attendant l'heure d'un retour si lointain soit-il, recevez, chers Parents, les baisers affectueux de votre fils. [signé :] Henri]"
Bernard Jean Henri BOYER est tué au combat le 9 juin 1915 à l'âge de 29 ans au Mesnil-les-Hurlus, village entièrement détruit pendant la Grande Guerre, situé dans la Marne en Champagne. Le poilu, mort pour la France, a été décoré de la croix de guerre avec une palme et une étoile ainsi que de la médaille militaire.
Au front, les poilus ont le sens de la camaraderie. La correspondance de Jean-Noël BENTAJOU en atteste. Il se fait prendre en photographie avec trois amis et écrit ensuite à sa famille.
La photographie est fixée au recto d'une carte postale. Par ailleurs, le souvenir du Tarn-et-Garonne transparaît à travers l'évocation des lieux dont chaque poilu est originaire dans le texte au verso.
"Samedi 8 mai 1915,
Cher père et belle-soeur,
De suite que j'ai les photographie[s], je m'empresse de vous en envoyer une quar [car] à l'heure qu'il est ça commence à barder, je suis toujour[s] en bonne santé et souhaite que vous soyez de même. Cette photos [photo] représente mon cher camarade Vernhet et pui[s] deux bons amis, un de Caussade et l'autre de Septfonds. Votre fils et frère qui espère vous revoir un jour. Bentajou Noël."
Cour du cantonnement
Le "gourbi du "cuisto"
Ourches
23 juin 1915
Henri Molinier
Au cours de la Grande-Guerre, les troupes françaises s'équipent progressivement de cuisines roulantes qui restent installées assez-loin des premières lignes. Elles assurent le ravitaillement des troupes. Le cuisinier dans l'argot des poilus devient le "cuisto". Cet argot popularise également des mots comme le "gourbi", terme d'origine algérienne qui peut aussi bien désigner un abri fait en planches dans les tranchées qu'une petite baraque adossée à un talus. Ici, il semblerait que l'on soit entre les deux, ce "gourbi", situé près d'un talus, semble couvert de chaume. Le dessin d'Henri MOLINIER a été réalisé à Ourches-sur-Meuse en Lorraine.
Les poilus recevaient des colis de nourriture et de l'argent de leur famille pour améliorer leur quotidien.
Gabriel BOUFFIES écrit à ses parents de Champagne le 1er octobre 1915 et explique ce qu'il a pu acheter avec l'argent que sa famille lui a envoyé. Il trouve les denrées trop chères. Pendant la guerre, l'inflation des prix est manifeste. Il demande aussi du papier et des enveloppes pour écrire, avec des produits qui se font rares sur le front :
"[... on trouve pas trop d'eau bonne à boire, on trouve plus guère rien à acheter, je me soigne] toujours pour mon mieux, en me débrouillant depuis que je suis ici, j'ai pu acheter 1 boite de confiture 2 f [francs], 1 boite de fromage de camembert 1 [franc] 10, 2 bidon[s] de vin 0,85 [franc] pièce, les journeaux coûte[nt] 2 sous [soit 10 centimes sachant que 1 franc = 20 sous]. C'est affreux, comme on nous estampe. On est toujours à peu près bien ravitaillé, mais des fois tard, on touche du vin ¼ , on est bien d'appétit, je croque tout mon pain à présent. [...]
Mes chers Parents, je ne vois pas grand chose à vous raconter, envoyer [envoyez] un peu de papier à lettre, petites enveloppes, pour pouvoir vous écrire de temps en temps, quelques petit[s] paquet[s] bon à manger chocolat, fromage, etc ce que vous voudrez, pour mieux manger le pain, n'envoyer [envoyez] pas d'argent encore, nous en dépensons pas beaucoup encore, en attendant toujours de voir la fin de ces tristes évènements, je vous embrasse de bon coeur.
Votre fils dévoué. Gabriel.
[(À partir d'aujourd'hui, nous sommes dans la réserve, la classe 12,] en bonne santé)"
Les soldats sont nourris à l'ordinaire avec des boîtes de conserve de viande de boeuf, surnommé le "singe" dans l'argot des poilus, aussi bien sur le front occidental que sur le front oriental. Une chanson dont les paroles ont été retranscrites par Germain PENCHENAT, présent sur le front d'Orient du 8 février au 11 novembre 1918, évoque cette nourriture quotidienne.
"Et comme on ne sait pas ce qu'il y a
On rit encore
------ 3e couplet ------
En Orient ce qui désespère
C'est qu'on est mal nourri toute l'année
Comme menu à l'ordinaire
Que du singe du potage salé
L'matin, le soir, c'est la rengu[a]ine
Du lundi au samedi
Et le dimanche c'est une veine
On mange du singe aussi
Ce qui fait quand bouffant le plat
Les poilus chantent ce refrain là
------ Refrain ------
Encore, encore
Ah quelle barbe que ce maudit singe là
Il faut qu'on dévore
Ah ce régime là on engraisse pas
Encore... encore
Ah seulement si la croûte changeait [...]"
(En argot des poilus, le terme de "croûte" désigne la cuisine, parfois aussi un repas léger d'où l'expression "casser la croûte".)
Dans une autre lettre datée du 4 février 1915, sans indication de lieu pour passer outre la censure, Gabriel BOUFFIES écrit à ses parents ces quelques lignes. Il est confronté au froid, au gel et à la neige dans les tranchées. Avec le dégel, elles se remplissent d'eau. Les poilus doivent y passer à tour de rôle 24 heures éprouvantes.
"La journée a étée [été] belle, le soleil s'est montré, il a beaucoup dégelé, et il dégèle encore mais il en reste encore, de ce côté on est tranquille, on entend le canon loin du côté des Vôges [Vosges], ici on dirait pas que ce soit la guerre envers du côté de Soissons et en Belgique où ça cessait pas ½ heure toujours on était attaqué,
on s'y trouve mieux mais il fait plus froid, les routes sons [sont] pas démolies, c'est tout plaine, 24 heures dans la tranchée sont encore assez longues car on dort pas bien, dans la neige, dans l'eau, on gèle des pieds, mais enfin quand on reçoit pas trop de mitraille ça peut aller, les cuirrassiers [cuirassiers] nous ont relevés, on a été très content, on leur a laissé la place volontier [volontiers], pour rentrer au cantonnement on a fait 12 km en vélos, en arrivant on trouve la tanbouille prète qu'un peloton nous avait préparé, un bon cantonnement, assez de paille, à 10h du soir on se couche après avoir boulotté, on dort bien, on s'est levé à 7 h, on nettoye les fusils, vélos, effets car on était sales, dans la tranchée on se met pas propre.
Enfin cette triste vie criminelle quand finira-t-elle? On a maintenant 2 ennemis, les balles et le froid! C'est triste! Rien plus à vous dire pour le moment.
Réponse si vous recevez les lettres et cartes! Vous avez le temps. Papier pour la réponse! Écrivez!
Votre fils qui vous embrasse, Gabriel!"
Un autre extrait de la lettre du 1er octobre 1915 de Gabriel BOUFFIES atteste des dures conditions de vie dans les tranchées avec la pluie, la paille qui se transforme en fumier, les poux qui prolifèrent. Une photographie de René Gabriel CAUBET montre d'ailleurs un poilu assis en train de s'épouiller, une fois revenu dans son cantonnement. Autre fléau des tranchées, les rats qui ne sont cependant pas mentionnés par Gabriel BOUFFIES.
1/ "[...] il pleut, puis on a froid, car on est souvent mouillé de sueur, puis de pluie, je comprends pas comme on en crève pas. On se désabille [déshabille] plus, on quitte pas les soulié [souliers], et on n'a presque pas de paille pour coucher, c'est du fumier, et des poux à volonté ; on se lave plus depuis quelques jours, on est joli, enfin on s'en fait pas trop encore, nous sommes de réserve." [Gabriel BOUFFIES]
2/ Légende de la photographie de René Gabriel CAUBET prise près du front vers Arras en 1915 :
"Chasse aux poux... Ah! Les sales bêtes."
Les épidémies de typhus ou de dysenterie sont redoutées sur le front occidental comme sur le front oriental mais le paludisme et autres fièvres dites "récurrentes" ou "méditerranéennes" sont spécifiques au front d'Orient. S'il existe un vaccin contre la fièvre typhoïde, il n'en existe pas contre le paludisme. Il touche une grande partie des troupes en Orient, ce qui affaiblit considérablement les hommes.
Lutter contre les poux, mais aussi les punaises et les puces, transmises au contact des chiens, des chats ou des rats, plus contre les moustiques en Orient, est le lot quotidien des poilus.
Pierre SUBERVIOLLE traite avec humour et ironie un avis distribué aux troupes d'Orient en 1916 ou en 1917 pour lutter contre le paludisme. Il n'a pas été atteint par cette maladie.
"Note distribuée par le comité de santé" : Le MOUSTIQUE, voilà l'ENNEMI !!! -> "les Bulgares, on s'en f..." [fout]. [...] Autre annotation en bas de page : "ça nourrit."
Jean-Clément GAYNE est lui aussi présent dans l'armée d'Orient entre le 1er juin 1916 et le 27 septembre 1917. Il a conservé deux feuillets qui résument les "instructions aux troupes contre les épidémies" et qui évoquent notamment le paludisme (même si le mot est coupé).
Avis du service de santé de l'Armée d'Orient, annoté par Pierre Suberviolle. (Collection privée) (Document édité : Catherine Labaume-Howard, Lettres de la "der des der", La Louve éditions, 2011, p. 123)
"Armée d'Orient. Instructions aux troupes contre les épidémies." Première partie. (Collection privée)
"Armée d'Orient. Instructions aux troupes contre les épidémies." Deuxième partie. (Collection privée)
La garde civile de Moissac est organisée dès le 1er août 1914. Un journal de ses activités est tenu entre le 2 août et le 3 novembre 1914.
L'auteur en est peut-être le secrétaire M. Gardes. Il reçoit le préfet Georges Clément Charles Duvernoy et d'autres personnalités locales le 12 août 1914 à 14 h, des visiteurs qui semblaient satisfaits de l'activité des gardes (1). La garde civile surveille les allées et venues de la population, notamment les passages d'automobiles suspectes. Elle surveille aussi les voies de communication comme la voie ferrée et le pont du Tarn (détruit depuis dans l'inondation de 1930). Elle se fait parfois l'écho de rumeurs ou du moins rend compte du moral à l'arrière et de l'opinion publique. Son personnel est aussi amené à assurer la surveillance des étrangers internés à l'ancien Petit Séminaire de Moissac à partir de septembre 1914. Cependant, la garde civile est supprimée au 31 octobre 1914. L'institution est assez critiquée par l'opinion publique et la presse qui traite notamment les gardes de "patriotes à 50 sous" (2). 50 sous correspondent à 2 francs et 50 centimes, ce qui est une somme non négligeable à l'époque.
1/ Premier extrait : [Le 12 août] "14 h : M. Duvernoy, Préfet de Tarn-et-Garonne, M. Flach, Sous-Préfet de Moissac, M. Salers, Maire de Moissac, M. Paulin Dupuy, député de Moissac, accompagnés de MM. les Inspecteurs d'académie et primaires, se présentent au Poste de la Garde civique. Étaient présents : MM. Gardes, secrétaire, Larrigaudière, planton, Sabathé et Bourgeat, gardes, M. le Sous-Préfet fait les présentations. M. Gardes donne des explications sur le fonctionnement de la Garde civile de Moissac.
M. le Préfet prend connaissance du Journal de la Garde, en lit les passages principaux, prend connaissance des ordres de service et déclare qu'il constate qu'à la Garde civile de Moissac le service se fait d'une façon irréprochable et qu'il est heureux d'adresser de vives félicitations aux Gardes civils de Moissac.
La visite a duré un quart d'heure."
2/ Deuxième extrait : [Le 19 août] [... il est permis de regretter que rien ne soit fait pour faire] "cesser une campagne de déconsidération qui, indépendamment des propos désobligeants tenus par les gardes civils, se traduit par des injures, comme celles du sieur Bouley, rédacteur du journal "La France" qui nous traite ouvertement de "Patriotes à 50 sous", comme les propos de M. Cabanie, receveur des Finances qui dit que les Gardes civils devraient refuser leur[s] indemnités au profit du Bureau de bienfaisance, ou encore des pétitions soumises par des sieurs Moulis, représentant de commerce, André Maldérau, commerçant etc... etc..., article paru dans le "Télégramme" de ce jour, etc.
Et cette campagne qui aurait dû être réprimée de prime abord, ne serait-ce que pour le respect des lois établies, paraît devoir se développer en raison de l'attitude indifférente de l'autorité compétente." [...]
Alors que l'opinion publique est globalement patriote et soutient les positions de l'armée, même lorsqu'elle est en difficulté en septembre 1914, un certain M. Girardin ose tenir des propos "pessimistes", pour ne pas dire défaitistes, qui provoquent aussitôt la colère de la foule à Moissac. L'incident est relaté par le journal de la garde civile. L'auteur du journal retranscrit scrupuleusement le comportement de la foule et les paroles de chacun dans son rapport. L'action des gardes empêche la situation de dégénérer. Surveiller la foule est une mission délicate.
"[23 septembre 1914] 20 h : Un incident regrettable vient de se produire devant la Sous-Préfecture où la foule stationnait devant la dépêche officielle qui venait d'être affichée.
Ayant réussi d'être au premier rang, je fus prié de faire la lecture de cette dépêche à haute voix afin que ceux qui ne pouvaient approcher puissent en avoir connaissance. Lecture faite j'exprimais que cette dépêche était bonne. À ce moment, M. Girardin, ancien comptable, domicilié boulevard Lakanal, me répondit, en haussant les épaules, que pour lui c'était la même chose; que si nous avancions sur la gauche, c'était parce que notre ligne s'étirait parallèlement au front ennemi et non contre ce front, que pour lui, nous n'avancions pas, que nous étions tenus en échec par des forces supérieures bien organisées, mieux que nous et que c'était, non une bataille qui se livrait, mais un siège.
Voyant le mauvais effet produit sur la foule par ces paroles, je cherchais à les atténuer en disant que lorsque tous nos renforts seraient arrivés, on délogerait les allemands de leurs retranchements; qu'il n'y avait qu'à patienter et attendre.
- Attendre quoi? me répondit-il, que l'on fonde les canons et les obus que [nous] n'avions pas et nous organiser; car il n'y a pas à dire, à Charleroi nous n'étions pas prêts et nous avons été repoussés.
- Qu'en savez-vous, lui dis-je, si c'était la tactique du général Joffre.
- Allons donc ! Quand une armée recule de Charleroi sous les murs de Paris en quatre jours, mettons huit, soit à près de 40 km par jour, ce n'est plus une retraite, mais une déroute.
À ce moment, un vieux marin, ancien combattant de 1870, M. Pénin, horloger, intervint et fit remarquer à M. Girardin que ses propos pessimistes et journaliers étaient indignes d'un bon Français, surtout que ce pessimisme était systématique chez lui et le blâma sévèrement.
La foule s'étant amassée autour des deux interlocuteurs m'en sépara et bientôt cette foule gronda contre M. Girardin et il serait certainement arrivé des choses fâcheuses si le garde civil Testas n'avait arrêté Girardin et ne l'avait conduit à notre poste pour le soustraire à la colère de la foule. En cours de [route, M. le commissaire de Police s'était joint au garde Testas.]"
Le contrôle des suspects et des indésirables dont font partie les étrangers internés à l'ancien Petit Séminaire de Moissac est également assuré par la garde civile de Moissac. La description de l'aménagement des lieux va de pair avec celle de quelques personnes, un homme et surtout plusieurs femmes, notamment une étudiante d'origine allemande et une tsigane. Pour l'auteur du journal, ce mélange des peuples évoque la tour de Babel. Gérer le quotidien du camp d'internement s'avère encore délicat.
"[8 septembre 1914] La cour principale est au-dessus d'un des deux petits tunels [tunnels] de la voie. L'aile de l'Est est une petite chapelle. Tout ce vaste établissement est occupé par les 360 internés arrivés le 6 courant.
Rien d'aussi curieux que ces physionomies diverses, disparates, que ces costumes divers, ces types enfin qui grouillent là.
Ici, sur la terrasse, un Monsieur bien mis, grand, élancé, brun, 30 ans environ. C'est un Autrichien, un banquier millionnaire avec toute sa famille d'origine française, ses domestiques. Il consignerait, dit-il, 50 000 francs entre les mains du Maire pour qu'on lui permit de loger en ville. Eh bien non ; c'est une mesure générale et il couche sur la paille, dans le tas ; il mange à la table commune la "polenta" qu'on leur sert. Sa dame, sa fille, ne prennent pas leur situation au tragique. "Ça manque de confort, me disent-elles, et pourvu que ça ne manque pas d'hygiène, on tâchera de s'y faire."
Voici une grande fille blonde, 23/25 ans ; bien mise. Sur ma demande, elle me dit être de Koenigsberg. C'est une prussienne ! À son accent, j'aurais cru une Anglaise et, comme je m'en étonne, elle me dit avoir fait un séjour à Londres. C'est une étudiante. Elle voyage pour apprendre l'Anglais et le Français et, pour vivre, s'est faite dactylographe. Elle n'a pas de parents parmi les internés ; mais une amie de rencontre. Une belle personne blonde, très blonde, un peu trop grasse, même âge ; c'est une bavaroise. Ces dames désireraient – avec raison, d'ailleurs – qu'on installe un cabinet de toilette spécial pour dames.
Voici un échantillon intéressant ; 18 à 20 ans, brune, taille moyenne, les yeux étrangement noirs qui vous fixent. Sa toilette consiste en une camisole en dentelle très ajourée. Jupe grise ; de cette coupe baroque et disgracieuse, dite à la mode. [...] C'est une tzigane habillée en fille des fortif... Écoutez-la, elle vous dira la bonne aventure.
Plus loin d'autres femmes, de toutes nations et de toutes classes, cousent, causent ou se promènent...
Les hommes sont par groupe, suivant leurs affinités, étudiants, peintres, manoeuvres, montreurs d'ours, etc. Comment régir toute cette Babel? On tâche d'y parvenir. L'immense dortoir du 1er étage et une partie des salles du rez de chaussée a été transformé en dortoir pour les hommes. Le côté gauche du rez de chaussée aux femmes."
À Castelsarrasin, à la fin de janvier 1916, le commissaire de police Joseph Le Jort enquête sur une affaire dont les deux principaux protagonistes sont des ouvriers de l'usine des métaux de Castelsarrasin. Depuis 1915, cette usine produit "laiton et maillechort nécessaires à la fabrication des douilles métalliques du fusil Lebel et d'obus de 75 mm" selon Bernard Ouardes.
Le premier protagoniste est un "ouvrier frappeur-balancier", mobilisé, travaillant "à l'atelier de la douillerie", Dominique Faulein, surnommé "Sosthène", né à Juzet-d'Izaut dans la Haute-Garonne, âgé de 45 ans. Il fréquente une jeune femme, une jeune veuve du nom de Bernès, qui tenait avec son mari (décédé le 12 janvier 1916) la "Buvette populaire".
Cette liaison déplaît au père de la jeune femme, Joseph Anduran, un ivrogne notoire, alors âgé de 62 ans, natif de Castelsarrasin, "ouvrier décapeur". Il donne un violent coup de poing à Faulein sur l'oeil droit le 27 janvier au soir, au moment où il s'apprêtait à sortir, parce qu'il avait pris un repas avec la jeune femme dans l'arrière-cuisine et non dans la salle commune de la "Buvette populaire". Joseph Anduran voudrait s'imposer comme patron de l'établissement d'après le témoignage de sa fille Alice Apollonie qui est allée porter plainte au commissariat.
Le commissaire interroge par la suite la victime Faulein qui est resté calme face à son agresseur et différents témoins de la scène, deux ouvriers d'origine espagnole, travaillant au chantier Bouillières, Joseph Vidal et François Ribas ; Antonin Andrieu, ébéniste, qui a empêché Anduran de donner un second coup de poing à Faulein ; le serveur Georges Agenais, surnommé "Prosper" et la bonne Louise Joffrions, femme d'Antonin Andrieu. Il interroge aussi en dernier Anduran.
Ce-dernier souligne que Faulein ne portait pas son brassard d'ouvrier mobilisé ce soir là et qu'il semblait vouloir rester au-delà de 21 h, heure à laquelle les ouvriers mobilisés devaient quitter obligatoirement les cafés-restaurants de la ville, d'où un début de querelle entre eux à ce sujet. Anduran a déjà eu une condamnation d'un mois avec sursis pour vol de bicyclette en juin 1913 alors qu'il était ivre. Le commissaire brosse le tableau suivant concernant cette affaire le 28 janvier 1916 :
"Nous avons aussitôt procédé à une enquête en et puis les déclarations suivantes qui sont enregistrées dans le P.V. [procès-verbal] ci-joint.
La "Buvette populaire" est avec la "Buvette du Centre", le café du 19e siècle et le café dit de la "Riengotte [?]", un des cafés borgnes et mal famés de Castelsarrasin ; * la jeune veuve Bernès, âgée de 19 ans, est une femme de moeurs légères qui passe pour avoir eu de nombreux amants, dont actuellement le nommé Faulein. Quant au nommé Anduran, c'est un ivrogne, qui a pour mobile [n'être] en mauvaise intelligence avec sa famille, il n'est guère de très bonne moralité, car il a déjà été condamné pour vol en 1913.
Le commissaire de police, Le Jort Joseph
* elle a toujours été depuis le début 1916 le repaire des Belges, des réfugiées venues de Belleperche, des femmes galantes, des ouvriers russes, et des gens tarés de Castelsarrasin."
Sur cette photographie prise à une date indéterminée pendant la Grande Guerre, une femme pose à côté d'une charrue et de deux boeufs attelés. Labourer est une tâche ardue qu'il faut accomplir en l'absence des hommes. Le clocher-mur ajouré à l'arrière-plan correspond à celui de l'église de Viminiès, au nord de Mirabel, non loin de Caussade.
Cette photographie fait partie du dossier de Marcel NOAILLAC. Il est né en 1895 dans la maison de ses grands-parents maternels à Peyralade sur la commune de Monteils, mais ses parents habitent à cette date au lieu-dit Belfil sur la commune de Caussade. En 1915, le registre matricule indique que Marcel NOAILLAC habite Monteils. C'est un poilu particulièrement valeureux, il obtient la croix de guerre avec quatre étoiles et la médaille militaire en 1918. La femme qui apparaît sur cette photographie lui est probablement apparentée.
Les femmes deviennent des chefs de famille en l'absence de leurs maris ou en cas de décès de ces derniers. Elles peuvent parfois compter sur l'aide de leurs enfants ou de grands-parents pour entretenir les cultures et les élevages dans les propriétés.
Dans la famille ROUGES, le père, Clément, trop âgé pour partir sur le front, est envoyé à La Rochelle à partir de juillet 1916 pour travailler au transport de chevaux pour l'armée au port de La Pallice. Il entretient une abondante correspondance avec sa femme Maria qui fait aussi écrire leur fille Marie-Louise qui vivent à Saint-Simon près de Lafrançaise. Cette correspondance offre un exemple de conseils et de remarques échangés autour de diverses activités à la ferme, de la vente de raisin en septembre 1916 à celle d'un cochon en janvier 1917. La cherté de la vie pendant la guerre transparaît aussi à travers les lettres : le prix des produits a "triplé" selon Clément ROUGES entre août 1914 et septembre 1916.
1/ Première carte postale (verso) :
"La Rochelle, le 12 septembre 1916
Ma chère épouse,
J'ai reçu ta dernière lettre qui m'a fait plaisir. Je vois que les raisins se vendent, c'est dom[m]age que tu en est [aies] pas beaucoup. [...] Les meulons [melons] ont-ils fini? À La Rochelle sont petits pour 20 sous [soit 1 franc]. Tout est bien cher, n'importe quelle chose qu'on veuille acheter a triplé de prix. [...] Clément Rouges"
2/ Deuxième carte postale (verso) :
"Saint-Simon, le 21 Février 1917
Mon cher époux
[...] Hier je suis allée chercher les charrue[s] je les ais [ai] payées 22 francs, maintenant nous pourrons labourer car elles sont bien arrangées. Nous avons fait la récolte du miel, il y en as [a] beaucoup [...]. Maria Rouges"
3/ Troisième carte postale (recto et verso associés) :
"Saint-Simon, le 6 Mai 1917
Mon cher Papa,
Aujourd'hui je viens remplacer maman pour vous dire que ma santé est améliorée. Quand à la vache, elle ne se sens [sent] de rien et le petit veau taite [tète] très bien. Nous avons fini de faire les pommes de terre, les haricots et les betteraves, nous n'avons qu'à faire le maïs, même je crois que grand-père viendra mardi pour travailler à le faire. [...] Marie-Louise Rouges"
Plusieurs hôpitaux militaires sont créés en Tarn-et-Garonne, dans des établissements d'enseignement ou tout autre lieu qui pouvait convenir pour cet usage. À Moissac, trois hôpitaux temporaires sont aménagés. Les soldats convalescents bénéficient d'activités de bienfaisance, par exemple une sortie organisée par trois femmes de Moissac, dont une infirmière. Le journal de la garde civile de Moissac en fait le récit.
L'hôpital temporaire n°49 occupe le collège de garçons entre le 22 août 1914 et le 29 août 1916. Sa capacité est relativement importante, estimée entre 60 et 105 lits. Au 29 août 1914, le journal de la garde civile de Moissac évoque les premiers blessés, arrivés la veille, ainsi que les sentiments qui animent la population. Les soldats semblent minimiser leurs blessures :
"Grande affluence aux abords du collège des garçons où quelques uns des blessés hospitalisés dans cet établissement "Hôpital temporaire n°49" sont dans la cour d'honneur ou sur la terrasse.
Comme leur aspect a changé depuis hier, jour de leur arrivée ! Lavés, reposés, rasés, ils n'ont pas trop mauvaise mine.
Et chacun raconte l'impression qui l'animait, hier, à leur arrivée. Là, dans la cour de la gare, plus de mille personnes se pressaient, silencieuses, angoissées. Le train entre en gare à midi trente. Il manoeuvre lentement et conduit quelques voitures au quai couvert et, dès qu'apparaissent les premiers blessés qu'on fait monter en voiture, les hommes se découvrent respectueusement. Quelques jeunes filles applaudissent ces héros. Des mères, les yeux mouillés de larmes, cherchent des yeux un visage connu... Puis, ceux des blessés qui peuvent marcher, forment une petite colonne que l'on conduit au collège et à l'Hôtel Dieu, salués respectueusement.
Sur leur passage, que de visages crispés par des sentiments de pitié et de vengeance en même temps ! Ils sont 95 en tout. Combien on va les choyer. D'après les dires de ces blessés, l'artillerie allemande n'est pas très redoutable."
Trois femmes, l'une, Mme Cassé, infirmière à l'hôpital n°48 qui occupait l'école primaire supérieure de filles de Moissac, et deux autres dames soucieuses de pratiquer la bienfaisance, Mme Becker et Mme Rue, veillent à organiser une sortie pour faire découvrir les beautés du Tarn-et-Garonne aux soldats effectivement choyés.
"[30 septembre]
8h30 M. Becker nous cite un fait digne de figurer à notre journal. "Mme Cassé, infirmière à l'Hôpital 48, réunit dans la journée de dimanche dernier, 28 militaires blessés et convalescents, organisa une promenade en voitures – offertes gracieusement – et conduisit tous ses invités dans la campagne environnante, vers Mathali [Mathaly], où nos braves soldats – tous originaires du Nord – purent admirer notre beau Quercy, ses belles vignes et se délecter à satiété de ce beau chasselas doré qui fait l'orgueil de nos vignerons et la juste réputation de Moissac viticole.
Mme Cassé, secondée de MMmes Becker et Rue, avait aussi organisé un goûter champêtre pour ses protégés. Tous ces braves étaient émerveillés et ne trouvaient pas d'expressions assez reconnaissantes pour peindre leurs sentiments d'admiration pour l'amabilité, la bonté et le bon coeur de nos dames Moissagaises, qui n'ont d'égales que la beauté [et la douce accueillance de notre Petite Patrie.]"
Eugène MOLINIER verse 460 francs en or en échange de billets de banque le 14 juin 1917. Ce document, un certificat d'échange, est extrait du dossier du poilu Henri MOLINIER, alors sapeur radio au 8e régiment du génie.
Les campagnes de propagande pour inciter les Français à verser leur or sont nombreuses, plusieurs affiches en attestent. Des bons de la Défense nationale sont émis, avec un taux d'intérêt de 5 %. 22 milliards de francs sont ainsi recueillis entre 1914 et 1916. Des sommes importantes sont aussi versées dans le cadre des emprunts annuels de la Défense nationale, le premier est lancé en novembre 1915 et rapporte 13,3 milliards de francs, le deuxième en octobre 1916 rapporte 10 milliards de francs, un troisième est lancé en 1917, un quatrième en 1918.
L'augmentation de la masse des billets de banque en circulation (16,3 milliards de francs entre 1914 et 1916) permet également de récupérer de l'or, en même temps que l'inflation progresse (les prix sont multipliés par 4 en France entre 1914 et 1918).
La Banque de France émet dès 1915 des certificats de versement d'or imprimés au décor sobre, diffusés auprès de banques comme le Crédit Lyonnais de Montauban et qu'il suffit de compléter. Ces certificats sont distincts de ceux prévus pour la souscription d'un bon ou d'un emprunt de la Défense nationale. Un visa est apposé par la banque qui reçoit l'or. Un décor néo-classique surchargé est choisi en 1916, gravé par Devambez qui imite le motif du billet de banque de 1000 francs germinal de 1805. Il représente deux déesses, une Minerve casquée pour la guerre et Cérès pour l'agriculture. La balance est un symbole de la Justice et le coq celui de la France. Des caducées ponctuent la frise d'une grande finesse. Ce certificat a aussi la forme d'un diplôme.
L'après-guerre est marqué par le culte des morts, aussi bien assuré par la religion catholique que par la République. L'hommage aux poilus morts pour la France passe par la construction de monuments aux morts dans chaque commune et la commémoration du 11 novembre avec un hommage à tous les poilus dont le symbole est le "soldat inconnu" enterré sous l'Arc de Triomphe à Paris. Le souvenir des disparus est aussi entretenu par des messes données en l'honneur des défunts.
Une petite carte de décès a été réalisée pour la famille d'Éloi NICHIL avec le portrait du poilu en médaillon et le texte suivant :
"Souvenez-vous dans vos prières de l'âme de Eloi-Maurice-Félix NICHIL, caporal au 11e Régiment d'Infanterie – Mort pour la Patrie le 2 août 1916, à l'âge de 21 ans."
Deux citations de l'Ancien Testament et une citation d'un Père de l'Église accompagnent deux lignes de prières correspondant aux paroles à prononcer avec un chapelet.
Le deuil pour les familles des poilus décédés est difficile. Certaines familles sont autorisées à rapatrier le corps de leur enfant en Tarn-et-Garonne. Ainsi Albert NICHIL obtient l'autorisation du Ministère des Pensions de faire exhumer le corps de son fils Éloi et un laissez-passer lui est délivré en 1920 pour qu'il puisse le ramener à Bruniquel, son village natal.
"Monsieur Nichil Albert est autorisé à transporter de Vadelaincourt (Meuse) à Bruniquel – Tarn-et-Garonne ; sans emprunter la voie ferrée, le corps de M. Nichil Eloi Guillaume Maurice, caporal au 11e Infanterie.
Paris, le 17 Novembre 1920."
Le document fait référence au décret du 28 septembre 1920 qui stipule dans son premier article "le transfert aux frais de l'Etat des corps des militaires et marins morts pour la France entre le 2 Août 1914 et le 24 octobre 1919".
Les soldats qui ont survécu à la Grande Guerre s'organisent en associations. Elles rassemblent plus de 3 millions d'adhérents en France (sachant qu' il y a eu 1,4 million de soldats français morts au combat). Les trois principales sont l'Union nationale des Combattants (UNC), marquée à droite, l'Union fédérale, plutôt centre-gauche et l'Association Républicaine des Anciens Combattants (ARAC), proche des communistes d'après l'historien Jean-Jacques Becker. D'autres associations spécialisées existaient pour les mutilés (ou même les aveugles) comme l'Association Générale des Mutilés de la Guerre (AGMG), créée dès 1915.
Louis CHANTOT, né à Lamagistère, établi à Golfech après la guerre, fait partie de l'Association générale des Mutilés de la Guerre. Il a été blessé à la cuisse droite en août 1914 par un éclat d'obus qui a causé une "fracture ouverte du fémur" selon son matricule. La carte présentée date de 1930.
Ces associations ont contribué à faire du 11 novembre un jour férié à partir de 1922. Ce sont des "groupes de pression efficaces pour obtenir les avantages matériels que réclament leurs membres, pensions, retraites [et] elles ont voulu aussi avoir une fonction civique, une fonction nationale" selon Jean-Jacques Becker.
Quant à l'Office national du combattant (ONC), il est créé en décembre 1926 et délivre à partir de 1927 la "carte du combattant", une carte d'identité spécifique. Cet office est "un établissement public autonome rattaché au ministère des Pensions" selon l'historien Jean-François Montes. Il veille tout comme les associations aux intérêts moraux et matériels des combattants. La carte du combattant d'Émile GASC de 1928 en offre un exemple.
En 1933, l’Office national des combattants fusionne avec l’Office national des mutilés et réformés, qui existait depuis mars 1916, donnant naissance à un Office national des mutilés, combattants et victimes de guerre. La carte du combattant de Louis CHANTOT est valable de 1936 à 1941. Il semble avoir cumulé l'adhésion à l'Office national des mutilés avec celui à une association d'anciens combattants mutilés.
En plus de la date du 11 novembre, des commémorations de la Grande Guerre sont organisées régulièrement jusqu'à aujourd'hui, notamment pour remémorer le souvenir de la bataille de Verdun. Des anciens combattants comme Henri SOUPA sont encore en vie en février 1956 pour la commémoration des 40 ans de Verdun. Le centenaire de la bataille a été célébré le dimanche 29 mai 2016 au cours d'une cérémonie officielle.
Le poème rédigé par Henri SOUPA évoque "l'enfer" de la bataille, "un déluge de feu". Les Allemands sont appelés les "Huns" en référence aux troupes d'Attila défait aux Champs Catalauniques en 451.
Les forts de Douaumont et de Vaux sont cités dans ce poème. Le fort de Douaumont a été perdu par les Français le 25 février 1916 et repris le 24 octobre. Le fort de Vaux, perdu le 7 juin, a été repris le 2 novembre. L'ouvrage de Charny est aussi un site fortifié. La "citadelle" de Verdun est mentionnée. D'autres lieux de combats apparaissent par ailleurs dont le Mort-Homme, la Côte 304, le bois d'Avocourt, la ferme de Thiaumont et Bois-Bourrus, situés au nord-ouest de Verdun.
L'ossuaire de Douaumont a été inauguré en 1932, à proximité de la nécropole nationale de Fleury.